Auteurs : Virginie Galdemar et Caroline Daumas
La durabilité d’une organisation ne se mesure pas uniquement à son impact environnemental ou social : elle repose aussi sur la manière dont ses finances sont gérées et gouvernées : choix de partenaires, transparence des processus, gouvernance, pilotage stratégique.
Dans un dialogue, Caroline Daumas, Experte-comptable fondatrice de la fiduciaire Rouge·Kaki et Virginie Galdemar, Responsable administratif et financier de Earth Action, nous racontent comment une collaboration comptable peut devenir un levier de transformation organisationnelle.
Virginie (EA Earth Action SA) : Quand on a cherché une fiduciaire, comme pour tous nos prestataires, on s’est posé une question simple : « Est-ce que nos partenaires vont nous aider à avancer techniquement dans la bonne direction et sont-ils alignés avec nos valeurs ? »
Caroline (Rouge·Kaki) : Quand j’ai créé Rouge Kaki, avant de parler de méthodes ou d’outils, je me suis demandé à quoi sert réellement notre métier et quel rôle une fiduciaire peut jouer dans la transition. La comptabilité n’est pas un simple service technique ; elle a un impact concret sur la manière dont une organisation oriente ses choix, priorise ses ressources et incarne ses valeurs.
Si elle n’est pas pensée, elle peut affaiblir la mission d’une entreprise. Si elle est alignée, elle peut la renforcer. C’est là que se situe notre engagement : mettre nos compétences techniques au service d’une gouvernance et d’une stratégie d’entreprise cohérente.
Une relation qui sort du cadre classique
Virginie : Ce qui m’a surprise, c’est que notre relation ne s’est jamais limitée à “faire les comptes”. Dès le début, nous avons posé ensemble les bases d’une fonction finance structurée, avec un objectif clair : disposer d’une comptabilité lisible, exploitable par la direction et au service de la stratégie.
Nous collaborons depuis 2021 et au fil du temps, j’ai appris à analyser les chiffres, à comprendre les mécanismes, à piloter et à clarifier les périmètres entre nos volets “for profit” et “non profit”, articulation au cœur de notre modèle d’affaires à impact. Cette montée en compétence, nourrie par l’expérience de terrain et votre accompagnement, a fait évoluer ma posture vers un rôle de direction financière interne, capable de fournir des analyses du réalisé et du prévisionnel pour éclairer les décisions clés.
Caroline : C’est le cœur de notre métier. On nous confond souvent avec de la production de chiffres, mais ce qui nous intéresse c’est surtout la finalité : savoir compiler l’information, comprendre les résultats, et leur donner du sens. Nous aidons nos clients à gagner en autonomie, en fonction de ce qu’ils peuvent investir : leurs compétences, leur temps, leur énergie. On avance avec eux, pas à leur place, en les accompagnant dans le développement de leurs projets, avec une vision à long terme mais au rythme qui leur convient. Selon la taille de l’équipe, nous assurons ponctuellement des missions de délégation mais ce n’est pas le cœur de notre activité.
Le chiffre n’a de valeur que s’il permet de piloter quelque chose et de se projeter vers de nouvelles perspectives.
Moi, ce qui m’a surprise, c’est la capacité de Virginie à intégrer toutes les notions de comptabilité jusqu’à mettre en place des indicateurs performants de suivi de leur activité. Tu te souviens comment tu as débuté ?
La transparence : un outil d’alignement
Virginie : Oui très bien ! On s’est améliorés d’année en année et ma fonction de « comptable » a dû suivre la croissance de la société. Petit à petit, on a mis en place des processus très rigoureux et des tableaux de bord structurés : aujourd’hui, chaque flux financier est documenté, chaque opération justifiée, chaque décision comptable expliquée. Cette discipline permet de créer un terrain commun, un langage partagé qui rend les comptes lisibles, communicables et compréhensibles par toutes les parties prenantes.
Cette transparence opérationnelle ne se limite pas à la conformité : elle structure la gouvernance, facilite les échanges, sécurise les processus et permet à l’organisation de piloter son activité avec clarté et sérénité. Elle est devenue un langage commun.
Caroline : Oui. Vu sous cet angle, la transparence, ce n’est pas du contrôle. C’est de la lisibilité et de la confiance. Ça sécurise les flux, facilite les discussions, et permet aux équipes de comprendre ce qui se passe plutôt que de subir.
En quoi la structuration de votre comptabilité vous a concrètement aidés chez EA ?
La comptabilité comme boussole
Virginie : Ce qui a fondamentalement changé pour nous, c’est que nous considérons désormais que la comptabilité, et plus largement le suivi financier, avec la comptabilité analytique, le budget et la planification de trésorerie, comme un véritable outil de décision.
Au sein d’EA Earth Action SA, la comptabilité n’est plus un simple exercice administratif ou un rendez-vous périodique. Elle est devenue une véritable boussole de pilotage : suivi précis des coûts par activité, compréhension fine des marges, rapprochements automatisés, lecture consolidée des engagements… Chaque outil, chaque processus renforce la capacité de la direction à décider, ajuster les priorités et investir de manière éclairée.
Ce passage de la conformité à la stratégie est au cœur de ce que nous appelons finance durable. Il ne s’agit pas seulement de rendre compte, mais de guider les décisions : sécuriser la structure de l’entreprise, orienter les investissements vers des modèles cohérents avec nos valeurs, et éclairer chaque choix par une lecture claire et responsable.
Nous n’avons plus seulement une comptabilité tenue à jour ; nous disposons d’un système de pilotage.
Caroline : C’est exactement ça, et c’est là que la finance durable prend tout son sens : pas juste rendre compte, mais guider, orienter les ressources vers des modèles cohérents, donner de la visibilité, soutenir la mission. Il me semble quand même que les indicateurs financiers ne suffisent plus. Pour piloter une organisation engagée, il faut aussi intégrer des indicateurs extra-financiers : impact environnemental, contribution sociale, qualité des externalités.
Sinon, on risque d’optimiser les chiffres sans mesurer ce qui compte vraiment et passer à côté de la mission qu’on s’est fixée. L’enjeu, c’est de faire en sorte que le pilotage accompagne la mission sur tous ses axes — économique, écologique et social.
Le facteur humain
Virginie : En même temps, il me semble que le reporting ne résout pas tout. Les valeurs portées par l’entreprise, ses actes concrets, les clients pour lesquels elle décide de travailler ou pas, le profil de ses collaborateur·trices sont essentiels. Je pensais que la solution serait l’outil.
En réalité, le facteur clé selon moi, c’est l’humain : la compétence, l’autonomie et l’engagement permettent de transformer des outils et des processus en véritable levier stratégique.
Je crois que vous êtes aussi une équipe très engagée chez Rouge Kaki, non ? Planter un verger de kakis n’est-il pas un exemple de cette nécessaire cohérence entre vos actions et votre impact ?
Caroline : Oui. Absolument. Ce qui nous anime, c’est le défi et le sens de ce que nous faisons : des projets engagés, des questions complexes, des enjeux techniques qui nous obligent à réfléchir, à tester, à faire mieux. Nos équipes ont du plaisir à être challengées, que ce soit dans le cadre des mandats ou dans leurs projets personnels.
C’est aussi pour ça que notre équipe est constituée principalement d’expertes dans leurs domaines, avec des temps partiels choisis et une liberté organisationnelle qui nous laisse du temps pour nos projets personnels, comme la plantation d’arbres fruitiers pour moi.
Conclusion
Caroline : Nous constatons au quotidien chez nos clients, qu’il s’agisse de croissance, de sobriété, d’innovation ou d’impact, que la fonction finance joue un rôle déterminant : elle oriente les décisions, structure les priorités et donne du sens aux choix stratégiques.
Lorsqu’elle s’appuie sur la rigueur, la vision et l’humain, elle devient bien plus qu’un support : un levier capable d’accompagner toutes les trajectoires que les organisations choisissent d’emprunter. Je suis très heureuse et fière que nos clients partagent cette vision et c’est la richesse de nos échanges avec eux qui nous motive au quotidien chez Rouge Kaki.
Virginie : Chaque interlocuteur (banque, caisse de pension ou partenaire comptable) avec lequel nous collaborons est évalué non seulement sur ses compétences techniques, mais également sur sa capacité à avancer dans la même direction que nous : aligné sur nos valeurs de sobriété, de respect des limites planétaires et conscient de l’empreinte carbone de ses activités. Chaque opportunité de se rapprocher de nos ambitions compte, tant le défi est vaste et les enjeux complexes. Ces partenariats stratégiques deviennent ainsi des leviers concrets pour structurer et sécuriser nos finances tout en restant fidèle à notre mission.
Il nous reste une dernière question, à vous lecteur : comment utilisez-vous la finance pour soutenir votre mission à impact, et quelle place lui accordez-vous dans la trajectoire de votre organisation ?
